Elne, 26 novembre 2021
80 personnes ont assisté à la réunion publique du Collectif Catalan d’Elne, mardi 23 novembre au cinéma René Vautier d’Elne, sous la coordination de Jérôme Cressole, président de l’association dédiée.
L’assistance a pu mesurer les enjeux administratifs et environnementaux qui entourent le canal, alimenté depuis un seuil de prélèvement (resclosa) situé sur le cours du Tech, à Ortaffa. Le bassin d’Illibéris lui doit son abondance maraîchère, mais les malentendus législatifs et les distorsions administratives menacent cette infrastructure millénaire.
Pierre Giresse, professeur émérite de géologie à l’Université de Perpignan, a abordé la “continuité sédimentaire” exigée par la loi française. Le texte, qui implique une libre circulation des alluvions sableuses des fleuves jusqu’à la mer, n’est pas “applicable aux fleuves catalans comme le Tech qui, à l’exception des crues exceptionnelles, ne sont pas aptes à transporter du sable”, a assuré le géologue. Celui-ci a évoqué les extractions sauvages de sables, pendant plusieurs décennies, pour le bétonnage de la côte. Ces retraits abusifs ayant “gravement amputé la couverture alluviale du Tech”, le substrat géologique datant du pliocène (de -5,3 à -2,6 millions d’années) affleure maintenant à l’air libre. Cela signifie que “la nappe phréatique se déverse directement dans la rivière”. La perte de cette précieuse ressource justifie entièrement la continuité du canal.
Le spécialiste des ouvrages en rivière Alexis Aloujes a égrené 10 ans de démarches effectuées par l’administration, certaines dissimulées. Alors que l’Agence de l’Eau et le Syndicat Mixte de Gestion et d’Aménagement Tech-Albères (SMIGATA) prônent un “effacement” des seuils, deux études majeures ont validé, dès 2011, l’intérêt hydroélectrique et la transparence piscicole (liée aux anguilles) du seuil du canal d’Elne. Or, l’étude “Tech Aval” financée par l’Agence de l’eau en 2014 préconise d’abaisser de 1,80 m les indispensables rescloses… ce qui déconnecterait les canaux ancestraux de Palau del vidre, Elne et Argelès-sur-Mer. Cette destruction imposerait la construction de passes à poissons, superflues en raison de ladite transparence. Par ailleurs, le Collectif a révélé que l’Agence de l’eau a voté discrètement, en décembre 2017, les crédits nécessaires aux travaux d’abaissement. Les études menées “conduisent à une conclusion très contestable”, a expliqué A. Aloujes, avant d’ajouter que “paradoxalement, les documents de l’Agence de l’Eau contredisent sa propre position.”
L’éclaircissement recherché par le Collectif a reçu l’apport de Françoise Lissovski, présidente honoraire de Tribunal administratif. Celle-ci a évoqué l’annulation par le Conseil d’État, le 15 février dernier, de l’article 1 d’un “décret scélérat” du 3 août 2019, interdisant a priori les installations sur les cours d’eaux classés en “liste 1”. Cet arrêt exclut les cours d’eau en “liste 2”, dont le Tech à hauteur d’Elne. Cette avancée conforte les analyses du collectif : l’administration devra démontrer que la resclosa empêche la circulation des poissons et des sédiments. F. Lissovski a évoqué la loi climat Résilience du 22 août 2021, dont un amendement interdit la destruction des moulins placés sur les cours d’eau français. Ce texte ne proscrit pas la destruction des rescloses, sauf si cette destruction compromet un usage économique, avéré à Elne. Enfin, un amendement spécifique aux cours d’eau et canaux méditerranéens permettrait au législateur de clarifier les termes de “continuité écologique”, “débits réservés” et “réelle politique de l’eau”, contenus dans les textes. Ce progrès mettrait fin au contentieux.
Le canal d’Elne n’étant pas totalement à l’abri d’une menace de destruction ou d’installation de passes à poissons inutiles et coûteuses, le Collectif et ses experts ne baissent pas la garde.