Le 26 juin 2022, un groupe de membres de l’ASPAHR, avec parmi eux plusieurs architectes et historiens, ont effectué une visite au pont d’En Labau, situé à la sortie des gorges de la Guillera, en aval de Rodès mais sur le territoire de Bouleternère (Bulaternera). Ce pont est le vestige d’un ouvrage très important du Moyen Âge (XIVe siècle?), qui faisait franchir la Tet au canal de Perpignan, le Rec de las Canals.
L’ASPAHR se propose en effet d’attirer l’attention sur l’état précaire de conservation de cette construction importante, Monument historique inscrit qui se trouve dans un état d’absence totale d’entretien.
Pour préparer cette visite, Frédéric Hédelin a réalisé pour l’ASPAHR des photos par drone, photos calées perpendiculairement sur les faces amont et aval de l’ouvrage. Ces documents et la visite sur les lieux ont permis d’établir une première description de l’ouvrage, avec ses principales dimensions, et de constater que son état est en fait très alarmant. Si aucune action n’est entreprise à court terme, la stabilité de l’ouvrage est réellement menacée.
La structure est très élancée et se compose principalement de deux arches en pierre en tiers-point, de hauteurs différentes mais étroitement associées, traduisant probablement deux états successifs du monument. Ces arches constituent respectivement la face amont et aval du monument.
L’arche inférieure s’élève (à la clé) à 10 mètres environ au-dessus des rochers de la rive droite de la Tet. Elle est dissymétrique et prend naissance plus haut d’un côté, sud, sur le rocher, que de l’autre, nord, assis sur un massif de maçonnerie formant piédestal. Son ouverture théorique est de 10 m environ. Cette arche avait originellement une largeur de 3 mètres environ, mais il n’en subsiste plus que la face ouest (amont) la face est étant soit disparue soit chemisée par les maçonneries supportant la deuxième arche.
Celle-ci s’élève plus haut, environ 15 mètres (à la clé) au-dessus des mêmes rochers. Elle est d’une ouverture légèrement plus étroite (6,70 mètres). Sa largeur est identique à l’arche inférieure qu’elle surmonte, mais son parement amont (ouest) est entièrement absent. Immédiatement à sa suite vers le nord, un départ d’une arche semblable semble indiquer la silhouette d’un monument à arches successives de taille semblable.
Le monument est terminé au nord par deux piliers quadrangulaires élancés, visiblement édifiés à l’époque moderne, dont l’édification suppose un changement radical dans la structure de l’ouvrage de franchissement du fleuve (canal en bois ?). Le pilier principal (1,30 sur 2,50 m environ) qui domine la Tet a une face verticale de plus de 20 mètres de haut, prenant naissance sur le rocher environ cinq mètres au dessus du tirant d’eau. L’assise de ces piliers est venue chemiser la retombée nord des deux arches, empiétant en partie sur l’ouverture de l’arche inférieure
La partie inférieure montre, côté fleuve, une partie appareillée en marbre qui est le départ d’une arche monumentale ayant franchi le lit de la Tet, d’un peu plus de vingt mètres de large à cet endroit, aujourd’hui disparue.
Le monument est dans un état précaire et sa stabilité est directement menacée, à moyen ou court terme, au moins dans certaines de ses parties :
- l’arche aval est spectaculairement dégarnie à son extrados sud, alors qu’un important massif de maçonnerie subsiste en partie haute, en partie en porte-à-faux au-dessus de la partie manquante. Statiquement, c’est une situation instable, qui ne tient que par la cohérence et le pouvoir adhésif des mortiers ;
- l’arche amont présente sur l’écoinçon sud une maçonnerie dégradée en cours de vidage : le parement est disloqué, des pierres glissent, le cœur de la maçonnerie semble lié à la terre et se désagrège de proche en proche ; à cet endroit il y a un processus actif et dynamique de ruine de l’ouvrage qui est en cours ;
- au-dessus de l’arche amont, en partie sommitale, des pierres se détachent et glissent ; des effondrement localisés sont à prévoir à brève échéance ;
- en plusieurs endroits, les maçonneries initialement établies sur le rocher se trouvent désormais en porte-à-faux, du fait de l’amenuisement du substrat rocheux ; c’est visible à l’angle sud-est du massif principal, à l’angle nord-est de la retombée sud de l’arche aval, et sous la face verticale de la paroi du pilier dominant la rivière. La hauteur de plus de vingt mètres de cette face de l’ouvrage est entièrement en porte-à-faux au-dessus du rocher.
Ces situations peuvent évoluer rapidement, l’apparente stabilité actuelle n’étant liée, d’une part, qu’à la cohésion des mortiers des maçonneries et, d’autre part, à l’absence de sollicitations extérieures. Celles-ci peuvent survenir à tout moment, du fait d’un évènement sismique par exemple, nullement à exclure dans nos régions. La chute de ces porte-à-faux entrainerait à coup sûr l’effondrement de la plus grande partie de l’ouvrage.
Il est également à noter que, situé sur un itinéraire pédestre de promenade, le monument est aujourd’hui très fréquenté, de manière « sauvage » en dépit de sa stabilité précaire. Le terrain escarpé, rocheux, dominant la rivière, est objectivement dangereux, voire très dangereux.
photos : ©aspahr/photo Frédéric Hédelin