La vente, pour un prix modique, du mas Delfau par la commune de Perpignan à un groupe de promotion immobilière a été annoncée dans la presse, ainsi que le projet d’un parc de loisirs qui doit entraîner la transformation de l’ensemble des bâtiments du mas.

C’est, de nouveau, un point de repère du paysage historique de Perpignan qui est appelé à disparaître.

Les grands mas de la plaine du Roussillon forment l’armature historique de notre territoire. Même si l’évolution récente a entraîné le déclin sensible de l’activité agricole au profit de l’urbanisation, faut-il en effacer partout les traces ? Le projet n’est pas autre que celui d’une urbanisation, d’un nouvel étalement urbain — sinon, pourquoi le vendre à un lotisseur professionnel ? — et d’une artificialisation complète du secteur. Les 18 hectares du site peuvent être classés en zone constructible avec la révision du SCOT et nul doute que ce soit la perspective qui est derrière cette vente.

Le Mas Delfau, autrefois domaine de Fontcuberta, est un édifice caractéristique de ces grandes exploitations roussillonnaises, avec un logis important, sobrement mis en scène, des dépendances pour le bétail et l’outillage et, spectaculaire dans son cas, un grand chai vinicole du début du XX^e siècle. Le mas lui-même est bien plus ancien et les bâtiments techniques et d’habitation ont cette année plus de deux cents ans, datés qu’ils sont de 1823. Ils sont surmontés d’une tour, avec des créneaux factices, remontant au XVIII^e siècle, destinée à montrer le caractère noble des bâtiments, qui appartenaient avant la Révolution à la famille de Blanes, marquis de Millas. Tout autour, le réseau de canaux d’irrigation gravitaire permet encore la lecture des espaces de jardins. De magnifiques arbres ornent la cour et l’environnement du mas. Tous ces bâtiments ne sont nullement en ruine, et peuvent faire l’objet d’une réutilisation, d’une réhabilitation respectueuse de leur caractère.

En outre, il s’agit d’un site archéologique potentiel : connu au Moyen Âge sous le nom de Santa Maria de Enariga, ce mas était en 1326 propriété de Jaume Scuder, conseiller de Jacques III de Majorque, qui lui donna une très importante concession d’eau depuis le canal royal. Il est fort probable que des vestiges archéologiques d’une église ou chapelle (d’où le nom) ainsi que des aménagements hydrauliques médiévaux soient présents sur le site.

En outre, ancienne propriété de l’hôpital de Perpignan, ce mas est aussi le témoignage de l’histoire sociale de notre pays. Il fut légué en 1848 par Bruno-Félix Delfau à l’Hôpital de Perpignan et à l’Hospice de la Miséricorde et c’était le legs le plus important que ces institutions aient jamais reçu depuis leur fondation. Comment se fait-il que ce bien, apporté à la collectivité, n’ait jamais fait l’objet par la ville du moindre projet d’utilité collective ? Est-ce ainsi que l’on respecte les volontés d’un donateur attaché au bien commun ? La place de ce bien est dans le domaine public pour un usage au service de tous.

Pas plus que l’eau ou le territoire, la mémoire et le paysage ne doivent être gaspillés.

Il est inadmissible qu’un tel ensemble architectural et historique soit dénaturé et l’ASPAHR s’y opposera résolument.

PS. Le site wikimedia commons propose de nombreuses photos du mas sous licence libre.